Santé des élus : un tiers des maires font face à un début d’épuisement, selon l’observatoire Amarok

2 septembre 2024

On connaissait Amarok pour ses études scientifiques sur la santé des dirigeants de PME, artisans, commerçants et indépendants. L’observatoire montpelliérain, créé et présidé par le professeur Olivier Torrès, se penche sur la santé des maires, élus de proximité en prise directe avec les évolutions sociétales et les problèmes du quotidien des citoyens – logement, mobilités, pouvoir d’achat, insécurité, garde d’enfants, etc.

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©OceanPro Getty Images

Sortir de l’ignorance. À moins de deux ans des élections municipales, Amarok (Olivier Torrès et Mathieu Le Moal, Université de Montpellier) présente le 30 août à la presse l’étude intitulée « Du risque de burnout au bien-être des maires français : sortir de l’ignorance » – accessible en ligne en cliquant là.

Début d’épuisement pour près d’un tiers des maires. Parmi les quelque 1.700 maires interrogés sur deux phases entre février et juillet, 31,4 % d’entre eux font face à un début d’épuisement, dont 3,48 % sont en risque sévère d’épuisement. « Je m’attendais à pire sur ce chiffre, même si quasiment 3,5 %, ce n’est pas du tout négligeable. Cela correspond à une fourchette de 1.142 à 1.218 maires actuellement en France », note Olivier Torrès. Selon cette étude, « les femmes maires présentent un risque de burnout significativement plus élevé ».

Oliver Torrès et Mathieu Le Moal
Mathieu Le Moal, psychologue du travail et chercheur à l’Université de Montpellier et à l’Université de Paul Valéry (Montpellier 3), et Olivier Torres, universitaire (UM), fondateur et président de l’observatoire Amarok. ©DR

Intérêt général. La France compte le plus grand nombre de maires au monde, ils sont précisément 34.893. « Leur santé mentale est donc un sujet d’intérêt général », pose Amarok. L’étude menée par l’observatoire Amarok (Montpellier), en collaboration avec l’AMRF (Association des maires ruraux de France), pilotée par le professeur Olivier Torres et Mathieu Le Moal, révèle pour la première fois des statistiques sur la santé mentale des maires et décrypte les événements positifs et négatifs auxquels ils sont confrontés dans leur vie quotidienne.

Plus de 1.700 maires interrogés. À l’occasion d’une conférence de presse en ligne, le 30 août, le professeur Olivier Torrès, enseignant-chercheur à l’Université de Montpellier, détaille les résultats glanés suite à une enquête menée auprès des maires de communes françaises. « Pour des raisons liées à la RGPD, cet échantillon exclut les maires des communes de plus de 10.000 habitants, soit 2,78 % de la population totale. Grâce aux ajustements effectués, cet échantillon reste représentatif et couvre 97,22 % de la population totale des maires », explique l’universitaire.

Des “stresseurs” et des “satisfacteurs”. 34 événements positifs, baptisés “satisfacteurs”, et 34 événements négatifs, baptisés “stresseurs”, ont été recensés puis hiérarchisés. Côté positif, certains éléments reviennent fréquemment, tant de la vie personnelle (heureux événement familial, épanouissement des enfants et petits-enfants, vie conjugale, bonne santé…) que professionnelle (réussite d’un projet, cérémonie, bonne entente entre maires, dynamique associative…). Dans le sens négatif, un facteur revient largement devant les autres : la lourdeur administrative. Sont aussi abondamment cités la charge de travail de la fonction, les difficultés liées aux subventions, les conflits ou les échecs de projets. Les agressions et menaces apparaissent en 8e position des facteurs les plus stressants, preuve d’une inquiétude chez les élus sur leur propre sécurité. 

L’isolement comme facteur aggravant. « L’isolement est une autre cause de l’épuisement des maires. Ce résultat conforte l’idée communément admise du rôle délétère de la solitude sur la santé mentale d’un individu », explique Olivier Torrès. « Les maires de communes de moins de 2.000 habitants doivent généralement tout piloter tout seul, leur charge mentale est très lourde et il est normal d’avoir des moments plus durs », appuie Isabelle Dugelet, maire de La Gresle (Loire, 850 habitants). « Il ne faut pas vouloir être élu que pour les honneurs et les célébrations, il faut être aussi préparé aux moments négatifs, comme lorsqu’on mise sur un projet et qu’il n’aboutit pas. On doit gérer notre commune avec les moyens qu’on nous donne. La charge mentale par rapport à ce point est énorme », poursuit-elle. 

69,3 % des élus satisfaits de leur fonction. L’étude révèle que plus de deux tiers des maires se disent satisfaits de leur fonction, contre seulement 6,9 % se déclarant très insatisfaits. « Ce résultat contraste fortement avec la perception générale que l’on pourrait avoir de la satisfaction des élus. Alors que l’on pourrait s’attendre à une insatisfaction plus marquée au vu des débats publics et des défis auxquels les élus sont confrontés, les données révèlent une satisfaction relativement élevée », analyse le professeur Olivier Torrès.

Les municipales en perspective. À un peu moins de deux ans des prochaines élections municipales, un désengagement des élus est-il à craindre ? Selon Michel Fournier, président de l’Association des maires de Fraince et maire de Les Voivres (Vosges, 290 habitants), celles et ceux qui s’engagent en politique savent qu’ils feront forcément face à des moments difficiles, bien que l’on observe une augmentation du nombre de maires démissionnaires, 1.300 entre juin 2020 et novembre 2023, soit une hausse de 30 %. « Nous voulons peser sur les conditions d’exercice du mandat, et notamment sur le statut de l’élu », expose Michel Fournier. 

Sentiment d’impuissance et manque de reconnaissance. « Plus de 1.700 maires ont répondu aux deux collectes de données, ce qui prouve que l’on répond à un réel besoin. Les outils d’analyse scientifique mobilisés permettent d’avoir une objectivation de sa propre situation. Le maire souffre aujourd’hui d’un sentiment d’impuissance et de manque de reconnaissance, qui est paradoxal car on a besoin des maires en permanence et nos élus disent leur satisfaction et leur volonté à agir », enchaîne le président de l’AMRF. « Le fait que les maires prennent le temps de répondre aussi rapidement et avec autant d’intérêt à un questionnaire aussi lourd et intime prouve que les chosent sont en train d’avancer. On parle d’un questionnaire de 180 questions qui prend une demi-heure à être rempli », glisse John Billard, secrétaire général de l’AMRF et maire de Le Favril (Eure-et-Loir, 380 habitants). 

Plus sur Olivier Torrès : ce personnage incontournable sur le thème de la santé des dirigeants (et, désormais, décideurs) a été récemment croqué par Les Indiscrétions (novembre 2023, en cliquant ici), ou dans Les Échos (« Les agriculteurs plus exposés que les autres entrepreneurs au risque du burn-out », février 2023, en cliquant ici), ou encore « Olivier Torrès, au chevet des entrepreneurs », portrait en janvier 2021, en cliquant là).

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