La Coupe du Monde de rugby débute le 8 septembre en France, avec les Bleus mais sans Romain Ntamack. L’occasion de zoomer sur l’Ovalie en Catalogne, loin des deux métropoles régionales. Ici, on aime tellement le rugby que deux clubs d’élite se côtoient, l’un avec une pratique à 13 joueurs, l’autre à 15. Chacun avec son public, sa compétition, son business model et son propre stade. Un point commun : la passion inconditionnelle de leurs présidents, François Rivière pour l’USAP et Bernard Guasch pour les Dragons Catalans. Reportage réalisé début juillet pour Les Échos (parution dans l’édition print de ce 21 août).
Gilbert Brutus pour les Dragons Catalans (rugby à XIII), Aimé Giral pour l’USAP (rugby à XV). Les deux enceintes, détenues par la Ville de Perpignan, distantes d’à peine 1 kilomètre, résonnent comme des cathédrales de passionnés de l’Ovalie. Et s’affirment comme le haut lieu des réseaux d’affaires catalans. Particularité sportive : les deux clubs emblématiques du rugby catalan, engagés dans des compétitions différentes, ne s’affrontent jamais. Né en 1933, l’USAP a encore bataillé, cette année, pour son maintien dans le très relevé Top 14, le championnat national français. Le public a été au rendez-vous dans ce combat, avec les cinq derniers matchs à domicile joués à guichets fermés (14.000 personnes).
Les Dragons Catalans, issu, en 2000, de la fusion entre le XIII Catalan et Saint-Estève, se sont quant à eux invités en 2006 dans la Super League anglaise, s’offrant depuis une victoire de prestige à Wembley (Challenge Cup), à Londres, en 2018. Chaque réception d’un club à Gilbert Brutus (10.000 places) donne lieu à la venue d’environ 1.000 fans anglais. « L’aéroport de Perpignan est relié à Leeds par Ryanair. Les supporters arrivent dès le jeudi midi, font vivre les hôteliers et les restaurateurs… et boivent beaucoup de bière, sourit Bruno Onteniente, journaliste sportif spécialisé de L’Indépendant, fin connaisseur du rugby à XIII. En attendant le match, ils regardent les autres matchs de Super League dans des bars. Face à cette demande, beaucoup d’établissements se sont abonnés à la chaîne Sky. » « Toutes les générations de fans font le déplacement. Ils mettent une ambiance terrible, colorent la ville, tout en restant très corrects », se réjouit Bernard Guasch, président et fondateur des Dragons Catalans, par ailleurs entrepreneur dans une entreprise de transformation de viande employant 220 salariés, pour 60 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Deux présidents ancrés dans le territoire. Les modèles économiques des deux clubs, tous deux poussés par une ferveur populaire locale et le tissu entrepreneurial, diffèrent. Engagé dans l’un des championnats les plus exigeants de la planète, l’USAP doit augmenter son budget sponsoring pour combler un déficit structurel « d’environ 1,5 million », selon Bruno Onteniente. Après la vente de ses sociétés de construction et d’exploitation de parcs de stationnement publics, François Rivière a ainsi injecté, en 10 ans de présidence de l’USAP, « plus de 15 millions d’euros » à titre personnel, pour combler les pertes structurelles du club. L’homme entretient une relation forte avec Perpignan. « Ma sœur aînée, handicapée, y a été soignée. Pour ma part, j’ai été victime d’un grave accident de manège (il a été éjecté et placé deux mois dans le coma, note), fin 2015 à Narbonne. Sans le système de santé français, je ne serais plus en vie aujourd’hui. Et l’USAP, c’est ma façon de faire de la politique. Je suis content de voir les enfants jouer au rugby depuis mon bureau. C’est un sport qui n’a pas renoncé à transmettre la discipline, le respect et l’autorité. »
Budget à augmenter. L’objectif est de faire passer le budget partenaires de 8,7 millions à 9,7 millions d’euros pour la prochaine saison. « C’est jouable. Nous avons déjà 400 entreprises partenaires », explique Bruno Rolland, directeur général de l’USAP. Le budget passerait alors de 20 millions à plus de 21 millions d’euros. De quoi se donner un peu d’air et pérenniser le club en Top 14. L’exercice budgétaire est « moins exigeant pour les Dragons Catalans, notamment au niveau de la masse salariale, avec seulement 17 joueurs, au lieu de 24 pour l’USAP, admet Bernard Guasch. Alors qu’il faut s’approcher des 25 millions d’euros pour être performant dans le Top 14, il suffit de 12 ou 13 millions pour se maintenir dans les six premiers de la Super League ». Ce club emblématique du rugby à XIII, un sport que Bernard Guasch a pratiqué à haut niveau dans sa jeunesse, attire chaque année 4,5 millions d’euros de sponsoring privé. « C’est une prouesse, d’autant plus que l’USAP commence sa campagne de partenaires en juin, et nous, en novembre, souffle Bernard Guasch. Nous avons réussi à créer une ambiance à Gilbert Brutus, aussi grâce aux supporters anglais, qui amènent leurs chants et leurs cultures. » Beaucoup d’entreprises sont sponsors des deux clubs, par souci de neutralité, et aussi pour optimiser leur potentiel de business.
Y a-t-il de la place pour deux ? « Oui, car les deux rugbys se côtoient dans les villages du département. Pratiqué à 15, il fait la part belle aux mêlées et aux touches. À 13, il y a plus d’espace, de rapidité, de contact à un contre un », commente Bernard Guasch, dont le père a dirigé l’ancien XIII Catalan. « Certains veulent nous mettre en concurrence, mais nos relations sont respectueuses, renchérit Bruno Rolland. Nous n’évoluons pas dans les mêmes championnats. Le Top 14 génère une grosse économie, avec une visibilité incomparable. Il va avoir son exposition renforcée avec la Coupe du monde de rugby, qui va faire entrer l’Ovalie dans les foyers. Si la France fait un beau parcours, un public nouveau sera attiré au stade, et le nombre de licenciés va augmenter. Sans compter de nouveaux partenaires qui ne manqueront pas de manifester leur intérêt. »
Piste de rapprochement ? D’après le nouveau manager de l’USAP Franck Azéma, cité dans L’Indépendant début juillet, son club et les Dragons Catalans pourraient se « rapprocher pour se faire progresser mutuellement ». L’idée est par exemple de travailler sur des phases de jeux, le travail de lutte, la musculation… Contacté par Les Échos, François Rivière temporise. « C’est un vœu intelligent. Il faut partager des moyens sur la formation des jeunes, le recrutement, le médical, la préparation physique… Nos sports sont assez proches. Mais on en est au stade des idées. Aucune discussion n’est engagée. »
Deux projets d’extensions. D’ailleurs, en matière d’équipement, les deux clubs portent leur propre projet de modernisation de stade, chiffré chacun à environ 15 millions d’euros, plutôt que d’évoquer la création d’une enceinte unique. Les différentes collectivités sollicitées – Région, Département, agglomération, Ville… – doivent se livrer à des arbitrages politiques sensibles, sur une terre où les deux rugbys ont leurs passionnés. « Il s’agit d’améliorer l’accueil et l’expérience des spectateurs d’Aimé Giral, ainsi que le parvis, pour y implanter des boutiques, commerces, buvettes… La capacité de l’espace VIP doit passer de 1.800 à 2.500 personnes, selon les standards du Top 14 », insiste Bruno Rolland. Bernard Guasch plaide quant à lui pour la création d’une nouvelle tribune de 1.000 places, et d’une loge panoramique d’une capacité de 500 personnes. Il revendique l’antériorité de son projet par rapport à celui de l’USAP. Le plaquage est de bonne guerre.
Les partenaires veulent avoir un impact sur le territoire. L’USAP entend renforcer les liens avec la trentaine de clubs partenaires amateurs des Pyrénées-Orientales. « Cela nous permettra d’être plus efficaces dans la formation et la détection. Le club professionnel n’est pas hors-sol. Il doit aussi pouvoir aider les bénévoles des clubs amateurs, à être présent dans milieu scolaire… », souligne Bruno Rolland.
Cet ancrage local, au plus près du rugby amateur, intéresse aussi les sponsors, à la recherche d’actions responsables. Ainsi, TotalÉnergies va fournir des du matériel sportif à ces clubs amateurs. « C’est une nouvelle forme de partenariat qui intéressent les entreprises. Elles ne souhaitent pas seulement adosser leur logo, mais avoir un impact réel sur le territoire. »
> La semaine prochaine : en direct de la REF (Rencontre des Entrepreneurs de France) Paris.