« Au regard de la situation, je peux vous dire que nous allons vivre un été très difficile en matière de ressource en eau dans l’Hérault », lance le préfet de l’Hérault, François-Xavier Lauch, en conclusion de la journée coorganisée par le Département, l’AMF 34 et l’État, en partenariat avec les Canalisateurs de France et la FRTP Occitanie, le 22 mars au Domaine de Bayssan (Béziers).
« Il faut aimer vivre dangereusement ». Dans un contexte de forte tension, « il y a encore des communes qui font le choix de rester toutes seules dans leur coin en termes de compétence eau. Il faut aimer vivre dangereusement. L’eau coûte en effet cher en termes d’investissement, et demande des compétences très pointues. Il ne faut pas se priver de mutualiser cette compétence, avec une intercommunalité ou un syndicat, insiste-t-il. Quand je superpose la carte des communes qui ont des pénuries d’eau et la carte des intercommunalités ou des syndicats des eaux, vous avez un immense trou, dans l’Hérault, où la compétence n’est pas montée soit à un syndicat, soit à une intercommunalité. Bizarrement, c’est là où il y a les problèmes. Tout simplement, parce que ce sujet de l’eau est tellement complexe, tellement onéreux, que les petites communes ne peuvent plus y arriver seules. On ne met pas assez d’argent et d’ingénierie technique dans la réfection de nos canalisations. 27 % de pertes dans le département, cela ne peut plus durer, dans un endroit où l’eau manque. »
Nappes à un niveau bas. « Je tire la sonnette d’alarme. De septembre dernier à mars 2024, la carte de la recharge des nappes met tout l’Hérault dans le rouge. Les recharges vont de 30 % à, pour une zone minime du territoire, 80 à 90 %. Ce qui veut dire que nous n’avons pas eu d’eau. Les principaux aquifères – c’est l’essentiel de la ressource dans le département dans laquelle nous puisons l’eau potable – ne se sont pas rechargés. Actuellement, 12 communes ont des difficultés avec l’alimentation en eau potable. Cet été, ce serait 100 potentiellement. Dans certaines communes, y compris des communes significatives, les rendements des sources diminuent jour après jour. Autre signe, l’arrêté-cadre de sécheresse est d’habitude levé au cours de l’hiver. Cette année, il n’a pas été levé. Avant les dernières pluies, il y a deux semaines (et celles prévues cette semaine, note), l’état de sécheresse du département était le même qu’au moins d’août. Il y a un décalage entre ce que nous voyons ailleurs, et l’arc méditerranéen. Nous n’avons plus assez d’eau pour fournir de l’eau potable. Ce n’est pas un sujet conjoncturel. Ça va se reproduire. Les processions (religieuses, pour invoquer la pluie, note), comme dans les Pyrénées-Orientales, ne seront peut-être pas efficaces. La quantité d’eau sera globalement en baisse, avec de longues périodes de sécheresses pluriannuelles, et des épisodes cévenols plus violents. C’est en quelque sorte une double peine. »
Appel à la cohésion. « Le sujet de l’eau doit être préempté collectivement, pour anticiper et trouver des solutions de court et long terme. Je suis insatisfait de la situation en termes de cohésion. Cette journée, entre maires (AMF 34), le Département de l’Hérault et la préfecture, est une bonne chose. Nous devons nous serrer les coudes. Sinon, les choses vont mal se passer pour chacun d’entre nous vis-à-vis de nos concitoyens qui ne comprendront pas que l’on ne soit pas capables de leur donner de l’eau potable. »
La contrainte ne résout pas tout. « Sur le sujet de l’eau, on est encore beaucoup dans la contrainte, notamment avec l’arrêté-cadre. Si le fait d’interdire résolvait tout, cela se saurait. À chaque fois qu’un représentant de l’État crante un niveau, on constate des comportements de citoyens qui sont à l’inverse de ce qui est souhaité. En gros, si on interdit le remplissage des piscines, les gens remplissent leur piscine le lendemain car ils anticipent le durcissement des contraintes. Et, parfois, ils le font en catimini, de nuit. C’est profondément insatisfaisant. La conscience de nos concitoyens sur le sujet de l’eau n’y est pas encore. Il faut éviter un affrontement entre usagers de l’eau : tourisme, agriculteurs, industriels, citoyens… En revanche, j’entends avoir une parole pour dire qu’il y a une hiérarchisation des usages. Utiliser l’eau pour boire et se laver, dans le cadre d’un usage domestique, c’est l’évidence. Utiliser l’eau dans l’agriculture et l’industrie, je le mets haut dans la hiérarchie. Et puis, celui qui a besoin d’eau pour mettre dans sa piscine ou pour laver sa voiture, ce n’est pas la même chose. Il faut le dire, publiquement. »
Plan d’urgence en avril. Un Plan d’urgence « Ressource en eau » sera finalisé courant avril, avec le Département de l’Hérault et l’AMF 34, faisant suite de la charte départementale signée l’été dernier. « De tous les sujets d’actions publiques que nous avons, il faut mettre l’eau en premier, insiste le représentant de l’État. Des communes n’ont plus d’eau, ou vont en manquer. Je me suis dit qu’on a raté quelque chose cet hiver. Un cycle de réunions est activé, pour mobiliser de l’ingénierie et du financement. »
Informer et sensibiliser. Ce Plan entend « informer et sensibiliser tous les acteurs, pas uniquement dans un cadre de contraintes. On n’en fait pas assez. Il faut aller beaucoup plus loin. Nous créons une task force qui se réunit régulièrement sur ces sujets, dans des réunions par intercommunalités. Il faut améliorer la connaissance des mesures de restrictions. Ici, on a un outil, Res’Eau 34, par commune. Et on va lancer une campagne de communication, « Alerte Cons’eau 34 », avec des niveaux, de vert à rouge, en fonction du nombre de communes qui n’ont plus d’eau potable. Le sujet est sensible, car le département est touristique. Mais nos concitoyens ont su réduire leur consommation d’électricité, lors de l’hiver 2022-2023, pour éviter une rupture. Les dispositifs d’économie d’eau sont simples et connus : dispositif sur les robinets, double chasse d’eau, des douches courtes plutôt que des bains, la voiture qu’on ne lave pas etc. Laver une voiture, quand on manque d’eau potable, on peut éviter de le faire. »
« Vous avez mon portable ». « Je ne veux pas d’élus qui passent par la presse pour dire que l’État ne fait pas assez bien son travail en matière d’aides aux communes. Tous les maires ont mon numéro de portable, et celui des sous-préfets. En cas de problème, vous nous appelez. L’ARS est sous mon autorité. L’Agence de l’Eau gère des crédits publics, pour lesquels j’ai des choses à dire.
Je prendrai du temps s’il le faut pour voir comment aider les maires. Des situations sont complexes par nature. L’intervention peut aller pour l’Agence de l’Eau jusqu’à 60 à 70 %. Il n’y a pas de raison que les communes n’y arrivent pas, avec un tel niveau de subventions. Ou alors, c’est par manque d’ingénierie technique. »
Ingénierie du Département. « Je suis aussi un fervent partisan d’un couple préfet-Département, où le Département met à disposition sa capacité d’ingénierie. Je veux bien déroger à la réglementation. S’il faut lever des freins, par exemple aller au-delà des 80 % de subventions, je vais demander à déroger. C’est très important. »
Investir davantage. « Collectivement, on ne met pas assez d’argent et d’ingénierie sur ce sujet de l’eau, et ça va nous exploser à la tête. Il faut le faire vite. »
Prix de l’eau. « Il y a un sujet avec le prix de l’eau. Quand les investissements ne sont pas là, peut-être ne demande-t-on pas assez à ceux qui paient l’eau. Posez-vous la question de savoir si tout le monde paie l’eau. Le tarif pourrait aussi évoluer en fonction des périodes. »
Jean-François Soto, président de Hérault Ingénierie, a ajouté : « Sans ingénierie, sans accompagnement, sans interconnexion, si on n’est pas solidaires entre nous, ça ne va pas pouvoir marcher. Ne serait-ce que sur des problématiques de logistique, de camions, de portage d’eau… L’an dernier, 29 communes ont été concernées. Cette année, on avoisine entre 80 et 100. Comment allons-nous faire ? Il faut des possibilités de stockage, être livré, et pouvoir le porter. Il faut anticiper.
Le lien avec l’urbanisme va aussi être un sujet : il faut urbaniser en fonction de la ressource, en la considérant comme limitée. Je crois aussi beaucoup aux interconnexions, et aux échelles plus grandes pour la gouvernance de l’eau. »
Données données (c’est bien un jeu de mot). Les données projetées par le Département de l’Hérault, en termes d’évolution de la pluviométrie et des températures notamment, à consulter en cliquant ici.