Futur du travail : ce qu’il faut retenir de la « Longue-Vue » de la Cité de l’Eco et des Métiers de Demain

10 février 2025

Comment travaillerons-nous demain ? Les crises environnementales et sociales n’imposent-elles pas un changement de paradigme ? Retour sur la première « Longue-Vue » 2025 de la Cité de l’Économie et des Métiers de Demain (Ad’Occ / Région Occitanie), le 6 février à Montpellier. Avec Laurent Berger, ex-secrétaire général de la CFDT en tête d’affiche, l’événement a affiché complet, avec près de 300 personnes. Les Indiscrétions y étaient.

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De gauche à droite : Guillaume Ledit (ADN Studio), la philosophe Gabrielle Halpern, Laurent Berger et le conférencier Samuel Durand. © Hubert Vialatte / Les Indiscrétions

Nous passons en moyenne 100.000 heures de notre vie à travailler, soit 15 % d’une existence moyenne en Occident, et 35 % dans des continents moins favorisés, pose d’emblée le journaliste-animateur, Guillaume Ledit, directeur éditorial de L’ADN Studio. 

Double révolution. « Le monde du travail subit une double révolution : la transition environnementale et l’accélération technologique. Nous avons deux choix : nous contenter du monde tel qu’il est, en nous référant au passé, ou construire quelque chose de nouveau. On se réfère souvent aux Trente Glorieuses comme d’une période bénie, alors que les femmes étaient à la maison, qu’on tirait sur l’environnement et que la pénibilité était tout autre pour les travailleurs. Il y a une forme de mythe autour de cette période », affirme Laurent Berger. Selon lui, pour envisager l’avenir du travail, il faut « concilier aspirations individuelles (quête de sens, gestion des discontinuités dans les parcours, que celles-ci soient choisies ou subies, autonomie) et grandes transitions ». Le travail « n’est pas un débat réservé à quelques-uns. C’est devenu une expérience à la fois collective et sensible. Dans le débat public, le travail a souvent été maltraité. On parle plus d’emplois », souligne Laurent Berger.

Vers un travail hybride et collaboratif. Pour la philosophe Gabrielle Halpern, en résidence à la CEMD, les dichotomies cols bleus/cols blancs, métiers manuels/intellectuels, jeunes et seniors, est « absurde. L’avenir, c’est l’hybridation des fiches de poste ». Ainsi, dans certains entrepôts, des ouvriers alternent entre manutention et tâches de bureau en fin de carrière. Une flexibilité qui répond à un besoin d’adaptation et d’enrichissement des compétences, prend-elle comme exemple. 
Sa bonne pratique pour les entretiens individuels annuels : « Il est très efficace de préparer les salariés à répondre à la question : ‘Cette année, qu’as-tu appris, et qui t’a appris quoi ? avoir ces réflexions toute l’année, est une manière de repenser la relation à l’autre comme promesse d’enrichissement », analyse-t-elle.

Embarquer tout le monde. Après cinq ans d’enquête et 100 rencontres, le conférencier Samuel Durand, auteur du documentaire « Work in Progress », identifie trois leviers de motivation au travail : un environnement stimulant au travail (autonomie, responsabilisation, lien social, contribuer à un projet plus grand que soi…), une individualisation des expériences et une entreprise engagée dans la société, prenant position sur des projets de société. « L’enjeu est d’embarquer tout le monde. Mais je note qu’il y a une contradiction entre le point 3 et le point 2 : on attend de son entreprise qu’elle s’engage, mais les salariés demandent de plus en plus du télétravail, une adaptation de leurs conditions de travail etc. », insiste-t-il, en référence aux travailleurs qui doivent accepter la transformation de leur métier.

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Laetitia Montanier, directrice de la CEMD. © Hubert Vialatte / Les Indiscrétions

« C’est l’humain qui déshumanisera le travail ». Si l’intelligence artificielle menace 300 millions d’emplois, Samuel Durand incite à la nuance. « Il faudra plutôt réfléchir en termes de tâches qui seront modifiés ». « Ce n’est pas l’IA qui déshumanisera le travail, mais l’humain », prévient Laurent Berger. Il plaide pour une « conflictualité positive », où les discussions sur l’organisation du travail deviennent des espaces de négociation.

Le travail, un vecteur de sens. Les entreprises prennent de plus en plus en charge des missions autrefois dévolues à d’autres sphères. Arcadie (grossistes en produits bio, Méjannes-lès-Alès, Gard), par exemple, a instauré un congé associatif permettant aux salariés, notamment ceux en fin de carrière, d’apporter leur expertise à des structures comme le Secours Populaire. « Cela donne un nouveau sens à leur engagement », souligne Stéphanie Arnassan, DRH de l’entreprise. Ce dispositif favorise la transition vers la retraite, « tout en valorisant leurs compétences dans un cadre différent ».

Assumer un rôle sociétal renforcé. De son côté, Isia (transformation numérique responsable, Saint-Mathieu-de-Tréviers, 34) a lancé une chaire avec Polytech Montpellier via le mécénat de compétences. « Les entreprises doivent assumer un rôle sociétal renforcé », explique Fabienne Amadori.

Enfin, les gains de productivité générés par l’IA interrogent : « Comment les redistribuer équitablement entre employeurs et salariés ? Cela marche dans les deux sens. Des salariés peuvent gagner énormément de temps avec l’IA. Que doivent-ils en contrepartie à leur employeur, avec le temps ainsi gagné ? », questionne Samuel Durand. Un vrai sujet polémique pour les prochaines années…

Pour Laurent Berger, la clé réside dans la confiance et la responsabilisation. « Il n’y a pas de messie qui viendra changer la donne. Ce qui compte, c’est de redonner aux travailleurs la capacité d’agir », indique l’ex-leader syndical, un temps pressenti à Matignon.
IA, on accélère ! : c’est le programme d’expérimentations 2025 de la Cité de l’Économie et des Métiers de Demain, avec une vingtaine d’entreprises d’Occitanie, a conclu Laetitia Montanier, directrice de la CEMD. 

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