Agencehv s’est déplacé à Florac (48) pour interviewer Julien Tuffery, dirigeant aux côtés de sa femme Myriam (DG) d’Atelier Tuffery (jeans). Avec plein de choses à nous dire sur ses valeurs, son parcours, sa perception du Made in France. En nous parlant même d’ambassadeurs politiques : François Bayrou en premier de cordée, et aujourd’hui Carole Delga.
Pas à coups de posts Instagram. « La manufacture Atelier Tuffery (jeans) sera toujours à Florac (48). Réindustrialiser la France du textile ne se fera pas à coups de posts Instagram. L’enjeu interroge la place de l’homme, le sens, le rapport à la consommation, aux volumes consommés, à la réparation », confie Julien Tuffery, président et repreneur de la maison familiale lozérienne, en 2016. Avant d’ajouter : « Cette entreprise devait disparaître, avait peu investi, j’ai eu la chance de la récupérer en 2016, alors qu’elle comptait deux salariés pour un CA de 30 k€. En 2023 (exercice clos fin septembre, note), nous sommes 36 salariés pour un CA de 3,9 M€ et un résultat net positif de plusieurs dizaines de milliers d’euros. La croissance est certes stratosphérique, mais je fais attention à ne pas faire exploser le CA, et le choix est de rester indépendant. Ce qui passe par l’obligation d’être rentable, pour financer le développement. Des milliers de boutiques veulent nous distribuer, nous recevons beaucoup de propositions de rachats et d’investisseurs. On a une notoriété, le Made in France a le vent en poupe. Demain, si je dis oui à tout le monde, je réaliserai rapidement 25 M€ de CA, mais je ne serai plus un fabricant, et deviendrai un grossiste, en m’appuyant sur des ateliers moins à cheval sur des considérations humaines. »
Bayrou en précurseur. Les jeans Tuffery sont portés de longue date par des politiques, qui en font un étendard de la souveraineté industrielle hexagonale : Carole Delga, présidente de la Région Occitanie, aujourd’hui, et le maire de Pau- François Bayrou. « Il a été précurseur dès la campagne présidentielle de 2012, où il portait des jeans Tuffery et le disaient publiquement en meeting. Il avait senti le vent du Made in France », souligne Julien Tuffery.
Pas prédestiné. « Le rêve de mon père, qui avait souffert de la désindustrialisation et du déclin de l’Atelier, c’était que je ne fasse surtout pas son métier. Sa grande fierté était que je sois devenu ingénieur. Je me suis passionné pour mes études à Polytech Montpellier, notamment pour les enjeux écologiques et l’eau ». Après une année de césure chez Veolia Eau « au fin fond du Pays de Galles, pour des traitements d’effluents de la métallurgie, un très bon souvenir », il a suivi un stage de fin d’étude ingénieur à Londres, toujours chez Veolia, dans le cadre d’un Master en 3e cycle aux Ponts et Chaussées à Paris en alternance. Avant d’être nommé, en premier poste, responsable des stations de traitement des eaux des Pyrénées-Orientales. « C’était un management complexe, dans un territoire particulier. La Step de Perpignan a de gros enjeux techniques. Les élus sont exigeants, avec des problématiques de bord de mer et de qualité des eaux. Et il m’a fallu ‘manager du catalan’ : ce sont des personnes extraordinaires, mais de tempérament. C’est un crash test pour un jeune manager ! »
Le Made in France textile boit la tasse. Selon le dirigeant, membre de l’UIT (Union des Industries Textiles) et partenaire de France Terre Textile, la situation du Made in France dans le textile est « très difficile. Atelier Tuffery est sur une niche et se démarque. Mais de manière générale, c’est la catastrophe. Des ateliers fabriquant en marque blanche n’ont plus de commande, alors qu’ils avaient investi post-Covid. Il y a un parallèle avec l’état du marché bio alimentaire, pareil. Le Made in France est certes dans l’ère du temps, mais à la fin, le consommateur passe-t-il à la caisse pour le payer ? Non, surtout dans un temps d’inflation et de difficultés financières des ménages. Dans ce contexte, financer une grosse industrialisation se rémunérant par le volume est très difficile. Et, sociétalement parlant, qui veut aller travailler à la chaîne dans un métier dénué de sens ? », interroge-t-il. L’atelier de Florac a fait le choix de la polyvalence pour les salariés, afin d’éviter la monotonie des tâches.
La success story inspire Thierry Julier, président de la CCI Lozère. « Julien Tuffery et sa femme Myriam incarnent la transition sociale, écologique et numérique. Ils portent des valeurs liées au territoire, au terroir, tout en perçant dans la mode parisienne, et sans être dans le greenwashing. Le client de 2024 nous demande de penser planète, devient un expert en matière d’environnement, se renseigne, prend conscience. On doit répondre à cela. Et, en matière sociale, on ne parle plus à nos collaborateurs comme il y a 4 ans. »
Vision qualité. Myriam Tuffery, également diplômée de Polytech Montpellier et des Hautes études de la santé publique (Rennes), a pour sa part travaillé auparavant pour Azura (importation de tomates-cerises et éclatement vers l’Europe à partir du pôle Perpignan Saint-Charles). « Elle apporte sa forte expertise en matière de qualité », explique Julien Tuffery.