Pour compenser la perte du statut de capitale régionale et une taille restreinte, Montpellier tisse des partenariats avec les territoires voisins, et cultive des filières économiques spécifiques. Enquête des Indiscrétions.
Dix ans après avoir perdu son statut de capitale régionale, au profit de Toulouse, dans le cadre de la création de la grande région Occitanie fusionnant les anciennes entités Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées, Montpellier, 7e ville de France, change de logiciel pour rester attractive. Principal changement, et non des moindres : la hache de guerre avec les collectivités voisines est enterrée. Alors que Toulouse est naturellement dopée par l’aéronautique, il s’agit, dans un Languedoc peu industriel, de faire front, sur un territoire élargi, en misant sur ses propres armes. « La métropole ne peut se construire en opposition avec ses territoires voisins », résume Michaël Delafosse, maire PS de Montpellier et président de la Montpellier Méditerranée Métropole, élu en 2020.
« La perte du statut de capitale régionale a été un électrochoc, source de vitalité. Il a fallu redoubler d’effort, être plus inventif et créatif, souligne Samuel Hervé, président du Medef Occitanie. Avant 2015, Montpellier s’endormait sur une activité plutôt administrative. Aujourd’hui, des filières économiques se dégagent nettement : santé, énergies renouvelables, industries culturelles et créatives, numérique. Et Montpellier compte deux licornes d’envergure internationale, Swile et Septeo. »
Nouvelle logique. Finies, les piques homériques de feu Georges Frêche auprès des autres édiles, qui ont laissé des cicatrices encore visibles. Comme cette ligne de tramway qui échoue bêtement à 1,5 km du littoral, au milieu d’une zone pavillonnaire, après que la commune de Palavas-les-Flots, seul débouché vers la mer Méditerranée, est sortie en 2005 avec fracas de l’agglomération montpelliéraine. À présent, le développement se concerte avec les intercommunalités voisines – Pays de l’Or, Sète Agglopôle, Grand Pic Saint-Loup, Vallée de l’Hérault, Lunel Agglomération, etc. -, sous la houlette d’une agence dédiée, dite ‘de développement et des transitions’.
Pour retenir dans l’aire urbaine des entreprises et des emplois à fort potentiel, Montpellier accepte de voir partir hors de ses frontières administratives certaines de ses pépites : Zimmer Biomet (robotique chirurgicale) et Inits (services pharmaceutiques) dans le Parc Industries Or Méditerranée, à Mauguio, ou encore Biodol Therapeutics (traitement contre les douleurs neuropathiques) à Montarnaud. Cette nouvelle donne lui est aussi favorable : Altémed, son puissant groupe public d’aménagement et de construction de la métropole, décroche ses premiers marchés loin de ses bases, comme la future zone d’activités Cap Gallargues, dans le Gard.
Manque de foncier. Pour la 2e ville d’Occitanie, il n’y a pas vraiment le choix. Avec ses 31 communes, la métropole est à l’étroit, sans aéroport, ni port, ni ouverture vers la mer. Le foncier d’activité y fait cruellement défaut. « Montpellier n’est pas une vraie métropole. Regardez, en comparaison, les conurbations Aix-Marseille ou Lille-Roubaix-Tourcoing », taclait Hugues Moutouh, alors préfet de l’Hérault, en 2022. Une réelle épine, quand il faut relever le défi de l’attractivité. Environ 700 demandes d’implantations d’entreprises sont ainsi formulées chaque année.
Les nouveaux habitants, charmés par le soleil et l’offre culturelle, sportive et académique, affluent. La ville-centre compte plus de 310.000 habitants d’après l’Insee, avec un taux de croissance annuelle de 1,5 % entre 2016 et 2022, supérieur à la moyenne précédente (+ 1,3 %, sur 2011-2016).
Ville du quart d’heure. Comme clé de réponse, l’édile socialiste, géographe de formation, entend développer le concept du ‘ville du quart d’heure’, en répartissant la population au-delà du seul périmètre de la métropole, à Lunel, Frontignan et Sète, le long de l’axe ferroviaire où circulent les trains régionaux. Dans le cadre du projet de service express régional métropolitain, des bus à haut niveau de services vont connecter le cœur d’Hérault et le sud de Montpellier, en utilisant l’autoroute A750.
Côté logements, Delafosse met la pression sur certains maires de villages peu portés sur l’acte de bâtir. « Il y a une forme d’égoïsme territorial. J’en ai assez qu’on refuse de faire du logement social, car c’est refuser de loger les personnes qui font tourner le territoire », lance-t-il mi-septembre, avant le congrès national HLM se tenant à Montpellier.
Des dossiers débloqués. Le passage du Catalan Jean Castex à Matignon, de 2020 à 2022, sensible aux projets d’Etat en Occitanie, a permis de faire aboutir des dossiers stratégiques, enlisés depuis des décennies : financement du contournement autoroutier ouest de Montpellier par Vinci Autoroutes, protocole pour la réalisation du tronçon ferroviaire à grande vitesse entre Montpellier et Béziers, extension et modernisation du CHU de Montpellier, renouvellement urbain des quartiers Mosson et Cévennes. Soit, en cumulé, environ 3,5 milliards d’euros injectés d’ici à 2035. « Delafosse se rend presque chaque semaine à Paris, pour vendre le territoire. Cela remet la ville sur la carte », analyse Jean-Paul Volle, professeur émérite de géographie urbaine et régionale à l’Université Paul-Valéry.
Pas de combat entre Toulouse et Montpellier. Selon lui, le risque de concurrence directe entre les deux métropoles, « bien réel en 2015 et 2016 », ne s’est pas concrétisé. « Toulouse et Montpellier ont cessé tout type de combat, pour passer à un stade de coopération. Un contrat de coopération a été signé en avril 2024 (croquer en cliquant ici), pour renforcer leurs propres structures économiques et scientifiques. Les centres décisionnels sont certes à Toulouse, mais la taille de la région, très grande, exige que l’on n’oublie pas Montpellier », relève-t-il.
Une identité régionale incertaine. Mais, depuis 2015, une forme de superbe a quand même été perdue, selon certains. « Avant, des chefs d’entreprises dirigeaient les agences économiques régionales. Ce n’est plus le cas. On a perdu en proximité », relève un entrepreneur. « Des clubs sportifs professionnels perçoivent moins de subventions », souligne un autre. « Si Montpellier était capitale régionale, il nous serait plus facile de ‘toucher’ Carole Delga, présidente de l’Occitanie, même si je reconnais ses efforts pour venir souvent », complète Céline Torres, présidente du Pôle Habitat FFB Occitanie – malgré ses fonctions régionales, elle concède son « chauvinisme ». C’est peut-être le principal enseignement des 10 ans d’existence de l’Occitanie : malgré les déplacements incessants de Delga, et la communication autour de la marque, l’identité occitane peine à émerger. Toulouse et Montpellier sont distantes de 250 km, sans liaison TGV, et avec des cultures distinctes – industrielle et Sud-Ouest pour l’une, tourisme/services et méditerranéenne pour l’autre. « En Bretagne, une entreprise sur quatre arbore, à l’entrée de son siège social, le drapeau breton. Je ne vois pas beaucoup de drapeaux d’Occitanie quand je vais visiter des entreprises d’ici », relève Patrice Canayer, ex-coach du MHB (handball), devenu conseiller régional délégué à l’attractivité et au rayonnement de l’Occitanie.
La taille de la région a aussi du bon : « La dynamique portée par le Medef Occitanie est une bonne chose pour les Medef territoriaux. Il n’y avait pas une telle dynamique à l’époque des anciennes régions », analyse Jean-Marc Oluski, président du Medef Montpellier. Exemple : « Lors d’un voyage à Bruxelles, nous avons pu comprendre le fonctionnement de la Commission européenne, les dispositifs carbone et l’importance des lobbies », confie-t-il.