La théorie des sentiments

15 octobre 2024
Eric Torremocha
Eric Torremocha, agent général d’assurance Allianz depuis 10 ans

Quels sont les mots plus usités et que vous détestez le plus actuellement ? Pour moi, ce sont les mots bienveillance et résilience probablement ! Employés à toutes les sauces. Nous sommes arrivés aujourd’hui à un point où on enseigne aux managers comment bien se comporter avec leurs équipes. Vaste fumisterie que de vouloir théoriser les sentiments. Et souhaiter inculquer l’empathie à ses salariés comme valeur étendard du groupe est un pari perdu d’avance. Tout le monde n’a pas cette inclinaison ou place le curseur sur d’autres plans : service, réactivité, performance…  

La vérité ne se situe-t-elle pas entre un cadre et des règles bien définies et un espace de liberté ou de prise d’initiative ? Un peu comme avec vos enfants finalement. Vouloir passer d’un extrême à l’autre et embrasser une approche binaire en entreprise en devient absurde. N’y-a-t-il pas de nuances entre un management tyrannique et l’introduction d’un happiness manager (ou G.O. d’entreprise) ? Attention spoiler (dévoilement, en langue de Molière) : le babyfoot dans la salle de pause et le « beer pong » de l’afterwork du jeudi soir, jeu à boire venu des Universités américaines, sont des leurres.

Cet état de fait peut également se traduire dans le recrutement. Dans le commerce, qui recrutez-vous ? Le candidat avec le parcours parfait sur le papier : expériences et formation « raccord » avec le poste ? Ou introduisez-vous d’autres critères de choix ? Dépasser cette approche très formatée peut parfois s’avérer payante. Sans rentrer dans le débat des « soft skills » ou intelligence émotionnelle (qu’on essaie aussi de quantifier avec des tests psychologiques), pourquoi des caractéristiques telles que le sens du service client, l’esprit d’équipe, la curiosité intellectuelle et les prédispositions pour apprendre ne seraient pas des critères tout aussi importants ? Car la technique s’apprend, à l’inverse de l’empathie ou la bienveillance (arghh, j’ai manqué m’étrangler en me relisant). Si votre collaborateur, qui est en prise directe avec vos clients, a du mal à faire preuve d’écoute ou prend les nombreux flux entrants dans un commerce comme une agression, c’est qu’il n’est pas à sa place. Une référence à peine voilée au taylorisme en quelque sorte (« the right man at the right place » : le bon homme à la bonne place). 

Quant à la résilience, c’est devenu le fourre-tout pour parler du fait de surmonter la moindre difficulté. Initialement, en physique, il s’agit de la résistance d’un métal à encaisser un choc. Mais aujourd’hui, son utilisation a changé. Mon poisson rouge a pleuré lors de la désignation du gagnant de l’Eurovision. Pour avoir le goût de refaire un tour de bocal, il devra faire preuve de résilience. Un exemple finalement assez éloigné de la théorie du sociologue Boris Cyrulnik. 

Je m’en vais de ce pas acheter « la bienveillance pour les nuls ». Je n’aurai plus d’excuses pour ne pas saluer la boulangère demain matin.  

Eric Torremocha revient pour une nouvelle tribune partenaire la semaine du 25 novembre.

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