On s’en fout

29 janvier 2024

C’est une scène banale de hall d’immeuble, un samedi matin. Mais qui en dit beaucoup sur la distance qui se creuse, profondément, irrémédiablement, entre des pans entiers de la société. La scène est, donc, d’une quotidienneté affligeante. De retour de quelques emplettes, je pénètre dans l’immeuble où je réside, dans le quartier Antigone à Montpellier. Il doit être autour de midi. La veille et l’avant-veille, des artisans ont installé sur la porte d’entrée un visiophone à la place des anciens interphones. Un investissement aussi inutile qu’inintéressant, voté par la copropriété. On ne peut rien y faire, à moins de prendre un aller simple pour le Mexique.  
C’est alors qu’une femme fait irruption et m’interpelle, assez préoccupée. L’heure semble grave. « Je suis propriétaire dans cet immeuble, et je voudrais savoir, avec ces travaux, si mon badge d’accès peut fonctionner à distance ? Visiblement non. »  
Je la regarde avec des points d’interrogation à la place des yeux. Ses lunettes de soleil à 1.000 euros la paire, posées sur son front, ne me disent rien qui vaille. « Je ne comprends pas ce que vous me dites, Madame.  
-Je suis propriétaire d’un appartement Airbnb, et jusqu’à présent je pouvais actionner mon bip à distance.  
– C’est un immeuble résidentiel, ici, Madame, pas un hôtel pour touristes. Ce qu’on veut, c’est des jeunes ou des familles, pas des valises. 
»  
La salve est partie sans y réfléchir. Spontanément. J’étais pourtant de bonne humeur.  
Après tout, certes, les locations Airbnb sont encadrées, mais pas interdites. Reste que j’échange, chaque jour, dans le cadre de mon métier de journaliste ou dans ma vie toute bête, avec plein de gens qui n’arrivent pas, qui n’arrivent plus, à se loger décemment. À cause, notamment, de personnes comme cette propriétaire inquiète, dont le seul sujet semble être la rentabilité immobilière – ah si ! Aussi, que son badge ne fonctionne plus à distance. Et qu’il va lui falloir peut-être marcher un peu pour toucher son pactole hebdomadaire. Pour un peu, je donnerais raison à mes enfants, qui m’ont tous les deux dit, à deux ans d’écart et visiblement sans se concerter : « En fait, au fond, tu es de gauche, papa. »

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