Taux d’intérêt, évolution des prix, revendications, remise en question… Les professionnels de l’immobilier ont débattu pendant 1h30, jeudi soir lors du premier Lab Immo Midi Libre à Montpellier.
« Vers une reprise du marché immobilier en 2024 ? » En plein marasme de l’immobilier et du secteur du bâtiment, le thème du premier Lab Immo Midi Libre de 2024 a attiré de nombreux acteurs de la filière, jeudi soir dans l’écrin de l’Hôtel Girard, au cœur de Montpellier.
Constat de blocage
Taux d’intérêt qui ont bondi de 1 % à 5 % en deux ans, flambée des prix dans l’ancien comme dans le neuf, durcissement des conditions d’octroi des prêts, forte demande alimentée par une croissance démographique (environ 15.000 nouveaux habitants chaque année dans l’Hérault), non remplacement du dispositif de défiscalisation Pinel à partir de 2025 dans l’immobilier neuf : le marché du logement traverse une crise inédite. Le constat en chiffres, d’abord. Françoise Cadène, responsable communication à la Chambre départementale des Notaires de l’Hérault, fait état d’une baisse significative du volume de transactions immobilières dans l’Hérault, entre novembre 2022 et 2023 : « – 13 % sur les appartements anciens, – 14 % sur les maisons anciennes, – 35 % sur les appartements neufs avec un pic de – 50 % à Montpellier intra-muros, et – 18 % sur les terrains à bâtir (chiffres Perval) », explique-t-elle. Le nombre de transactions chute de 29.659 en 2022 à 24.323 en 2023, soit une baisse de 18 %. « Je ne vois plus de primo-accédants, de jeunes couples de 25 ans, dans les dossiers, s’inquiète Bérengère Dubus, secrétaire générale de l’UIC (Union des Intermédiaires de Crédit) et dirigeante de FI Courtage (Montpellier). Cela pose un problème d’équité territoriale. Les métropoles doivent-elles être réservées à des catégories socioprofessionnelles aisées et des touristes ? »
Des prix qui s’ajustent
Après avoir très fortement progressé – « + 25 % dans l’ancien en cinq ans », insiste Jacques Rossi, pour la FNAIM 34 -, les prix commencent à décélérer. Comme un retour à la raison. « On ne peut pas encore parler de baisse des prix, mais il y a un ralentissement de la hausse. Nous étions en 2022 à + 9,3 % sur les appartements anciens, nous passons à + 4,6 %, illustre ainsi Françoise Cadène. Avec des disparités entre communes : + 18 % à Pignan, Clermont-l’Hérault ou Lamalou-les-Bains, + 15 % sur certains quartiers de Sète, mais – 3 % à – 5 % dans le centre historique de Montpellier – du jamais vu ! » Même phénomène pour les appartements neufs : de + 4,7 % en 2022, on passe à + 2,9 % en 2023. Pour Laurent Romanelli, président du groupe immobilier M&A, les prix pourraient même baisser dans le neuf, à condition « de revenir à la maîtrise des coûts de construction », en privilégiant des méthodes de travail plus collégiales entre corps de métier. « Dès la phase de conception, il faut travailler avec les architectes, les bureaux d’études techniques et les collectivités. Travaillons à livre ouvert sur les bilans. De mauvaises habitudes avaient été prises. » Sous-entendu : il n’est pas nécessaire, surtout en période de crise, d’avoir recours à du chanvre, de la brique ou des puits canadiens, solutions constructives onéreuses, pour qu’un bâtiment soit conforme à la nouvelle réglementation RE 2020.
Densité en 2e et 3e couronne
Jean-Pierre Pugens, maire de Montarnaud et ex-directeur de Hérault Logement, souhaite développer dans le cœur d’Hérault, aux côtés du maire de Gignac Jean-François Soto, une offre « plutôt locative, dans le secteur libre et pour le logement social. Cela permet une plus grande rotation des habitants, qui est nécessaire pour faire vivre les équipements publics. Si les actuels parents d’enfants scolarisés sont tous propriétaires, ils seront moins amenés à bouger dans 10 ans. Or, leurs enfants seront, eux, partis ». À Gignac, la Zac La Croix, idéalement placée, devrait donner le ton. Pour faire bouger les lignes, Bérengère Dubus, offensive, appelle à une union sacrée immobilière. « Chacun parle dans son domaine. Cela manque de transversalité. La FFB crée avec la FPI et la FNAIM ‘L’Alliance’ pour le logement, mais pourquoi ces fédérations ne consultent-elles pas l’Unam (aménageurs) ou les courtiers, sur les solutions de crédits ou les nouveaux modes de production d’habitat ? »
Prochain Lab Immo (L’Agence / Midi Libre) : 25 avril
Midi Libre organise un grand débat, réunissant les professionnels de l’acte de bâtir, le 11 mars au siège du journal à Saint-Jean-de-Védas (34), à partir de 18h30. Dans un contexte de forte crise pour l’immobilier, le logement, le bâtiment et la construction, ce débat permettra « de recueillir les attentes et les solutions proposées par les personnes présentes », indique Olivier Biscaye, directeur de la rédaction de Midi Libre. Le ministre du Logement pourrait être présent.
Laurent Romanelli, M&A
« L’État aura-t-il les moyens de ses ambitions ? »
« Les investisseurs institutionnels, CDC Habitat et Action Logement en tête, auront-ils en 2024 les mêmes capacités financières qu’en 2023, pour racheter des logements locatifs intermédiaires ? Il y a un doute sur les moyens alloués par l’État.
Dans ce contexte, le Groupe M&A porte un ambitieux plan de développement national, avec son concept de résidences seniors Silver Garden. Il y a un vrai sujet pour créer une offre entre le pavillon individuel et l’Ehpad. Autres fers de lance, la requalification urbaine, par exemple avec le programme Forum 2 à Maurin (Lattes), avec la mairie annexe, des services et une surface alimentaire. »
Clémence Peyrot, bureau d’études Adéquation
« 2024, l’année de la réinvention »
« Les programmes d’immobilier neuf vont devoir se penser différemment, avec des prix de vente moins élevés. 2024 va être l’année de la réinvention. Les futurs programmes ne pourront plus être tirés par le dispositif Pinel, qui garantissait une commercialisation rapide et maintenait les prix de sortie à un niveau élevé. Sans défiscalisation, il faudra proposer davantage de rentabilité aux investisseurs pour les attirer. Il y aura aussi davantage de propriétaires occupants. Les équilibres de Zac vont être repensés. »
Bérengère Dubus, Union des Intermédiaires de Crédit
« Des perspectives de taux plutôt bonnes »
« Le crédit immobilier est la pierre angulaire de la politique du logement. Nous sortons actuellement de la crise du crédit artificielle mis en place par la Banque de France. C’est positif. Il y a un retour des banques, car le marché est stabilisé. Les perspectives de taux sont plutôt bonnes. De 5,16 % en novembre, nous sommes passés à une fourchette comprise entre 3,75 % et 4,3 %. On se rapproche du bon taux, que j’évalue à 3,1 % : il est alors à la fois rémunérateur pour la banque, et pas défavorable à l’emprunteur. »
Françoise Cadène, Chambre des Notaires de l’Hérault
« Toute la chaîne est impactée »
« L’année 2024 sera encore très compliquée. Je ne vois pas de reprise. Les notaires de l’Hérault n’ont une visibilité, pour leur branche d’activité Immobilier, que sur trois ou quatre mois. Toute la chaîne de l’immobilier est concernée : promoteurs, entreprises de construction, architectes, notaires… Cette baisse des ventes affecte par ailleurs les ressources du Département. C’est une crise bien plus profonde que celle de 2008, où les choses avaient été réglées en six mois. Alors que nous traversons des difficultés depuis plus d’un an. Les chiffres de fréquentation des salons de l’immobilier, en baisse, en attestent. »
Jacques Rossi, FNAIM 34
« Des signaux négatifs qui dissuadent »
« Le marché locatif est bloqué, ce qui met en difficulté de nombreux ménages et des jeunes. Le taux de rotation est au plus bas : les occupants ont peur de libérer leur appartement. On le voit avec les étudiants, qui ne lâchent plus les appartements l’été pour être sûrs de pouvoir se loger à la rentrée suivante. Du côté du volume de transactions, j’anticipe une nouvelle baisse, d’environ 10 %, en 2024. Les taux d’intérêt et les prix devraient en effet se détendre, mais n’oublions pas la surtaxation qui va peser sur les résidences secondaires. Les investisseurs se détournent sur d’autres pays, en Espagne, en Croatie… À force de signaux négatifs, on finit par dissuader. »
Jean-Pierre Pugens, maire de Montarnaud et vice-président Logement de la communauté de communes de la Vallée de l’Hérault
« L’eau va être un enjeu majeur »
« La vallée de l’Hérault attire des anciens habitants de Montpellier et alentours, certains par choix, d’autres parce qu’ils ne peuvent plus acheter dans la métropole. On en parle peu, mais selon moi, le sujet le plus préoccupant pour l’immobilier en Languedoc, c’est la pérennité de la ressource en eau. À Montarnaud, la situation est tellement tendue que je ne délivre plus de permis de construire, sauf dans les opérations autorisées avant le 31 décembre 2022. Nous sommes limités dans notre développement, et pas uniquement par la sobriété foncière. La population du village est passée de 2.600 à 2009 à 4.200 en 2024. On ne peut plus continuer à ce rythme. En termes de typologie de logements, je suis favorable à une plus grande densification. Il faudra bâtir des immeubles. »