Intelligence artificielle vs stupidité naturelle

12 décembre 2024
Eric Torremocha
Eric Torremocha, agent général d’assurance Allianz depuis 10 ans

L’intelligence Artificielle est une révolution, au même titre que nos précédentes révolutions industrielles. Depuis le 19ᵉ siècle, la découverte de nouvelles énergies avait ainsi fait passer notre monde dans un ère progressiste mais également en suivant de (sur)consommation, un revers de la médaille que nous n’avions pas vu venir. Si l’IA nous promet des jours meilleurs avec la disparition des tâches fastidieuses, répétitives, comme un contre-pied au taylorisme, à y regarder de plus près, le bilan est bien plus nuancé.

Prenons le cas de l’IA générative et de ChatGPT. Outil en accès libre, y compris sur vos smartphones. Des enseignants du Collège Condorcet à Paris se sont rendus compte que ChaGPT était capable d’adopter le niveau d’expression d’un élève de 5ᵉ. Une supercherie découverte par sa mauvaise utilisation justement. Pour seul salut de ces apprentis sous-doués, une édition de « ChatGPT pour les nuls, version collège » au pied du sapin de Noël. Quel serait alors l’intérêt des devoirs à la maison, d’un exposé sur Louis XIV, d’un travail de recherche ? Ou de fréquenter des lieux de savoir tels qu’une médiathèque ou une bibliothèque universitaire ? Et quelle perte de lien social ? N’avez-vous pas en mémoire ce travail collectif plus ou moins rendu au dernier moment avec vos amis de collèe ou de lycée, qui avait permis de mieux vous connaître mais également de nouer des amitiés ? L’enjeu est clair, sans prise en compte par l’Education nationale, l’IA générative, tout comme les réseaux sociaux d’un certain point de vue, favorisera à la fois la paresse intellectuelle mais aussi l’isolement. Nous n’en sommes pas à penser que des brouettes de crétins au tempérament individualiste seront un jour salariés de nos entreprises, mais le sujet est à prendre au sérieux. L’IA pourrait aussi favoriser une certaine forme de pensée unique, une opinion de synthèse sans la garantie d’être dans le vrai, mais également le jeu des théories complotistes (séance de rattrapage : cf. page LinkedIn de « Complots faciles pour briller en société »). 

Autre volet méconnu, qui fabrique l’IA ? Existe-t-il une limite, un garde-fou ? La réalité ressemble tristement à certains secteurs d’activité comme celui du textile, avec une main d’œuvre à bas coût dans des pays où on exploitera une fois de plus la misère humaine. Des plateformes comme Appen, qui vendent leur datas à de grosses capitalisations de la World tech, donnent ainsi pour mission à de petites mains – non salariées (vive le cumul des mandats) – des multitudes de tâches répétitives. Payées entre 0.01 et 0.05 dollars la tâche, avec en parallèle l’obligation de multiplier la collaboration avec plusieurs plateformes pour joindre les deux bouts à la fin du mois. En quoi consistent ces tâches ? Vérifier des algorithmes, comme celui d’une recherche Google, mettre à jour les données d’une entreprise ou d’une personne ou pour les plus lucratives des « étiquetages » : savoir si une personne a l’air heureuse ou triste sur une image, retranscrire ce que dit une personne sur une vidéo… Timnit Gebru, chercheuse licenciée par Google en 2020 dans des conditions obscures, fait figure de son de cloche dissonant mais isolé face aux mastodontes. Elle est à l’origine de la création de l’institut de recherche pour une IA Ethique « Distributed AI Research Institute ». Et pour l’heure, aucun travail législatif probant n’est, à ma connaissance, sur les rails.  

Enfin, quel enjeu pour l’IA au sein des entreprises ? Bien évidemment en premier lieu des enjeux de gain de productivité. Les bancassureurs l’ont compris depuis longtemps avec notamment la gestion des modifications administratives liées à l’état civil, au changement d’adresse, aux souscriptions de contrats en ligne guidées pour des produits peu complexes. Ce virage digital doit néanmoins s’accompagner d’un contrôle humain mais également en parallèle de la valorisation du savoir des « sachants » dans les entreprises. La vraie richesse d’une entreprise se trouve toujours dans le capital humain, toujours à même de créer de la valeur et donc par ricochet de la richesse. Ainsi, un investissement tous azimuts dans l’IA sans une politique RH dénuée de formation, de transfert de savoir, de gestion de compétences couplée à une vision « terrain » de la part des dirigeants serait voué à l’échec. L’IA doit être un outil d’amélioration des process pas un objectif ultime de transformation qui favoriserait l’appauvrissement intellectuel.  

Et si Tim Cook avait raison : « Ce que nous devons tous faire, c’est nous assurer que nous utilisons l’IA d’une manière qui profite à l’humanité, et non au détriment de l’humanité. » Sont forts ces grossistes en fruits et légumes connectés, sauver le monde tout en sortant des résultats opérationnels à plusieurs milliards d’euros.  

Sources :
https://basta.media/intelligence-artificielle-petites-mains-derriere-IA-travailleurs
– https://www.rfi.fr/fr/science/20241117-intelligence-artificielle-%C3%A0-l-%C3%A9cole-la-notion-de-devoirs-%C3%A0-la-maison-n-a-plus-aucun-sens

Eh non, cet article n’a même pas été rédigé à l’aide d’une IA générative !

Eric Torremocha revient pour une nouvelle tribune partenaire la semaine du 27 janvier.

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