Transports publics : le défi du choc de l’offre (European Mobility Expo, Strasbourg)

7 octobre 2024

Comment les transports publics, rois dans les métropoles, peuvent-ils mieux desservir les zones périphériques et rurales ? Comment faire face au mur d’investissement lié à la décarbonation des flottes, et imposé par l’Europe, en période de disette budgétaire ? Plaisir d’animer deux tables rondes, au  European Mobility Expo, ce 3 octobre à Strasbourg.

EuMo Expo Strasbourg
Le nouveau ministre des Transports, François Durovray, interrogé par le journaliste Gilles Dansart, le 3/10 à Strasbourg ©Hubert Vialatte

Changement de comportements. « Comment remettre le report modal au milieu du village ? » – Autrement dit, quelles politiques doivent être privilégiées, dans les zones rurales et peu denses, pour développer des alternatives à la voiture, qui est souvent le seul recours ?
« L’une des clés, c’est le changement de comportement. Il faut éduquer à la mobilité, en apportant de la connaissance objective, par la data », indique Cristina Pronello, universitaire italienne et spécialiste européenne des transports.
Thibaud Philipps (Région Grand Est) a expliqué les projets de réouverture de lignes ferroviaires fermées, comme Nancy-Contrexéville (80 km). Les travaux et l’exploitation sont confiés à Transdev et NGE – BTP, pour lisser la dépense publique. « Rouvrir ces lignes, c’était inespéré pour la population locale. » D’autres résurrections de lignes, vers Sarreguemines et Bitche, sont portées, en lien avec la réindustrialisation. « Il faudra faire venir des compétences dans des territoires où sera installée la future gigafactory HoloSolis. Un territoire qui reprend une dynamique ne peut pas être très mal desservi. »
Petra Buitenhuis (Groningen-Drenthe, territoire peu dense du nord des Pays-Bas) et David Asséo (canton du Jura, en Suisse) ont présenté les bonnes pratiques dans leurs territoires respectifs, avec comme même boussole la volonté de développer l’offre pour changer les lignes. Pour configurer une offre idoine, l’étude des datas s’invite au cœur de la stratégie de Transdev, a développé son DG France, Edouard Hénaut.
Points de vigilance : l’offre doit être accessible (bon dimensionnement des pôles d’échange multimodaux pour éviter la déception de PEM bondés dès 7h du matin, cf. Les Indiscrétions du 30 septembre, lire en cliquant ici), simple (plateformes uniques de titres de transport) et maintenue dans la durée. « Il faut éviter les stop and go. Dans notre canton, il a fallu 15 ans d’effort pour que la part modale de la voiture recule de 5 points. C’est un combat de tous les jours, politique et budgétaire », indique David Asséo.

Transition énergétique : une équation impossible ? L’autre table ronde a porté sur le thème « Transition énergétique : décarbonation et maîtrise des coûts, l’équation impossible ? » Autrement dit, comment mener des politiques de mobilité ambitieuses, en développant l’offre, tout en s’adaptant aux contraintes imposées par le rythme de la transition écologique, qui sont très coûteuses ?
Comment les autorités organisatrices pourront-elles supporter ce coût dans les délais serrés imposés par l’UE ? Comment faire pour maintenir l’avantage des transports publics ? Comment éviter le scénario du pire, qui semble se profiler : moins d’offre, et donc moins de report modal ? Avec, en intervenants, Marta Alvarez Bermejo (EIT Urban Mobility), AnneLise Avril (Groupe Keolis) Maria Colas (Lorient Agglomération et GART), Mohamed Mezghani (UITP) et Serena Lancione (GTT – Gruppo Torinese Trasporti S.p.A.).

François Durovray, nouveau ministre des Transports : « Il faut un choc de l’offre des transports publics ». Ces deux séquences ont encadré l’intervention du nouveau ministre des Transports François Durovray, interrogé par mon confrère Gilles Dansart (Mobilettre), spécialiste du transport et fin connaisseur des arcanes du pouvoir.
Pour financer un « choc de l’offre des transports publics », et plus globalement le modèle social, qu’il appelle de ses vœux, il appelle à « la création de richesse, qui doit être au cœur du futur modèle, sinon, on ne s’en sortira pas (sic) ».
Concernant les mobilités, « on doit donner aux collectivités les moyens d’agir, a-t-il déclaré. Ce n’est pas à l’État de considérer depuis Paris les bonnes solutions que vous devriez mettre en place (s’adressant à la salle). On peut donner une feuille de route, des indications, des moyens financiers ».

EuMo Expo Strasbourg
Dans les coulisses des animations Agencehv. Le trombinoscope, allié précieux… ©Hubert Vialatte

Infrastructures : un écart entre le besoin affiché et les possibilités financières. Sur les infrastructures, « il y a un changement de modèle à opérer. Chaque année on se retrouve avec un grand écart entre les besoins et la capacité de financement, à la fois celle de l’État et celle des autres acteurs publics. Sur les CPER, j’entends beaucoup de présidents d’agglomérations, de Régions, de Départements, dire qu’ils ne peuvent plus assumer ces financements. Autant sur l’offre, les changements peuvent être rapides. Autant sur les infrastructures, Il y a un écart entre le besoin affiché et les possibilités financières. Il faut imaginer un nouveau modèle. J’ai quelques idées, mais ça va demander un temps de concertation. Quand on parle des recettes de la mobilité ferroviaire ou routière, on voit bien le côté explosif du débat (traduction : le renouvellement des concessions autoroutières). Les recettes générées par la mobilité, qui sont très importantes, doivent rester à la mobilité ».

Versement Mobilité : le ministre invite à activer le VM additionnel. « Pour les AOM (autorités organisatrices de la mobilité) dans les territoires, je rappelle qu’il existe déjà le VM (versement mobilité) additionnel. Quand les Régions et les Métropoles ou agglomérations se mettent ensemble, dans le cadre d’un syndicat mixte, les collectivités peuvent lever le VM additionnel. Il y a l’exemple à Bordeaux : avec ce VM additionnel, on peut créer de l’offre. Cet outil permet d’agir. Je ne peux qu’inciter les collectivités à se saisir de cet outil, de ses possibilités juridiques et financières. Cela peut ne pas être suffisant, pour le financement des routes et des Serm (services express régionaux métropolitains). D’autres pistes sont possibles, comme la mobilisation des CEE (certificats d’économie d’énergie), principalement financés par la mobilité, et qui vont très faiblement sur la mobilité (autour de 10 %) : la mobilité n’émarge pas assez sur les CEE. »

Créer une prise de conscience dans l’opinion publique. « Maintenance, maintien des ouvrages, régénération ferroviaire et des routes : l’opinion n’a pas conscience du coût de des chantiers. »

La route, un avenir radieux. « La route, c’est 1 million de kilomètres aujourd’hui en France. Elle continuera à supporter la majorité des mobilités dans 20 ou 30 ans. L’enjeu, c’est de transformer la route, pas de dire que c’est sale et pas bien. Nos infrastructures – route, fer et fluvial – sont exposées à un enjeu de décarbonation et digitalisation. Cet enjeu n’est pas du tout pris en compte par nos concitoyens. Il faut leur expliquer ce mur d’investissement à venir. Tout est sur la table, c’est connu. Il faut montrer une méthode, résiliente. Nos concitoyens peuvent avoir le sentiment d’avoir l’autoroute gratuite, et ce débat sera sur la table. Ils ne se rendent pas compte que si on peut investir collectivement dans ces infrastructures, ce qui veut dire un effort, on sera collectivement capables de baisser le coût de la mobilité ensuite. La mobilité doit être perçue comme moins coûteuse et plus facile, et pas comme un mal-vivre. Cela demande de se mettre tous en mouvement. Ce récit me semble indispensable. »

Titre unique de transport. « Un TUT va être expérimenté dans le périmètre Caen, Le Mans, Angers et Tours, l’an prochain. Je souhaite que le TUT se développe ailleurs ensuite ». François Durovray a cité en exemple, dans son intervention, le projet de service express régional métropolitain de la métropole de Montpellier, en s’adressant à l’élue Julie Frêche, présente dans l’assistance.

Serm. La 2e phase de labellisation des Serm (services express régionaux métropolitains, 24 labellisés à ce jour) interviendra « cet hiver, après les débats budgétaires au Parlement », projette l’ex-président du Département de l’Essonne.

Un accueil habilement positif. « Un vice-président du Gart qui devient ministre des transports, on ne pouvait pas souhaiter mieux, a déclaré Louis Nègre, président du Gart. Vous prônez une méthode du dialogue, vous insistez dessus. C’est ainsi que nous progresserons. Vous avez de notre part un accueil totalement positif, et parce qu’on vous aime bien, on attend beaucoup de vous…  Face au mur d’investissements, ma position et celle du Gart, est que des arbitrages doivent être faits en faveur de la mobilité. Nous sommes tous attentifs aux actes. »

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