« La reconstruction de Notre-Dame a fait naître des vocations de charpentiers »
Agenceurs, charpentiers, constructeurs bois, fabricants de menuiseries extérieures… L’Union des Métiers du Bois, la 4e union de métiers de la Fédération Française du Bâtiment (9.000 entreprises, soit une hausse de 56 % en 10 ans, 100.000 salariés), tient son assemblée générale annuelle à Montpellier, le 27 juin. AG marquée par la passation de pouvoir entre le montpelliérain Thierry Ducros, président depuis 2017, et son successeur, le Francilien Thierry Maillard (BRARD menuiserie agencement), jusqu’à présent président de la commission Menuiserie intérieure – agencement. « Trois questions à… », la rubrique où le tutoiement est de rigueur.
Thierry, quel bilan tires-tu de tes 7 ans de mandat à l’UMB ?
En 2017, j’avais appelé les 130 administrateurs, pour avoir leur impression sur l’UMB. Il est ressorti de ces échanges l’image d’un club fermé à Paris, dispensant des discours professoraux. Or, l’esprit de l’UMB, c’est le partage. Un bureau et un comité exécutif ont été créés, pour que les 13 régions de France soient représentées, ainsi que toutes les entreprises, quelles que soient leurs tailles. Cela va de 4 salariés à 700, pour le groupe Ridoret (La Rochelle), plus important adhérent.
L’UMB a aussi accompagné les entreprises pendant la crise du Covid, en élaborant notamment un guide métier et en alignant l’index de révision des prix avec l’augmentation des tarifs des fournisseurs. Il nous fallait être plus réactifs. Ce travail a été effectué sous le contrôle d’un commissaire aux comptes, pour obtenir des coefficients correspondant à la réalité, et pour éviter un déphasage.
Globalement, pendant six ans, le travail a été dense. Par exemple, notre équipe d’experts techniques a réalisé 70 animations territoriales en 2023. Il s’agit aussi de promouvoir et renforcer les règles de l’art (19 DTU, Eurocode 5, guides et calepins de chantier des programmes européens PACTE et RAGE), faciliter l’application des réglementations (incendie, acoustique, accessibilité, poussière bois…), agir pour l’environnement, favoriser l’attractivité des métiers, adapter la formation aux besoins du marché, favoriser l’accès à la connaissance…
Patrick, quel est l’état de la profession en cette année 2024 ?
Nous observons des disparités dans le niveau des carnets de commandes. Par exemple, en Bretagne, ils se situent entre 12 et 18 mois. En Occitanie, c’est nettement inférieur. L’Alsace souffre de la concurrence déloyale de l’Allemagne, où travaillent de nombreux salariés roumains ou turcs, qui n’ont pas les mêmes niveaux de salaires qu’en France.
Nos métiers ont été revalorisés. Le fait que l’UMB se déplace dans les régions a créé des vocations, d’autant plus que les entreprises ont gagné en qualité de production. La filière est l’une des plus avancées sur le BIM (maquette numérique), l’intelligence artificielle et la robotisation.
Par ailleurs, il y a un ‘effet Notre-Dame’. La reconstruction de Notre-Dame a suscité beaucoup de vocation de charpentiers. Des quartiers entiers, construits en bois, sortent de terre, comme Arboretum à Nanterre. La filière accueille de nombreux projets de reconversions professionnelles, par exemple des anciens ingénieurs en informatique, avocats, archéologues…, attirés par le travail dans la menuiserie et la charpente.
Un enjeu réglementaire reste à résoudre sur la sécurité incendie. Les réglementations, rédigées sous la tutelle des pompiers, ne correspondent pas aux réalités. Si nous avions toutes dû les respecter, il aurait été impossible de construire certains ouvrages des JO de Paris. Décarboner la construction avec des produits biosourcés comme le bois, d’accord, mais pour quel surcoût ?
Thierry, quels chantiers principaux identifies-tu pour la construction bois ?
Il nous faut convaincre les investisseurs, en leur faisant comprendre qu’il est aussi intéressant et rentable d’investir dans le bois que dans la pierre. Le bois est un matériau durable, solide, biosourcé, compatible avec la RE 2020, une réglementation qui doit nous permettre de vendre davantage le produit bois… Il permet de gagner 10 % de surface utilisable dans les logements, car l’isolation se trouve dans l’épaisseur de la structure du bois. Mais l’expression ancrée est toujours « Investir dans la pierre » !
Le bois souffre encore de contre-vérités. Par exemple, il n’y a pas de problèmes de ressources en France : nous n’utilisons que 55 % de la croissance de la forêt française. Précisons que le bilan carbone d’un bois importé n’est pas forcément moins positif qu’un bois français. Le bilan carbone d’un bois extrait des Vosges, requérant l’utilisation de quatre roues motrices sur des terrains en pente, sera moins bon que des résineux importés de Finlande, et transportés par voie fluviale puis maritime.
Rappelons aussi que l’IA a été anticipée dès 2019, alors que l’image de nos métiers peut être passéiste. Lors d’une réunion récente, trois entreprises ont présenté leurs outils d’IA mis en place. L’un d’eux a mis en place une solution codant les outils pour les retrouver plus facilement. Il a partagé cette application gratuite à tous les adhérents.
Face au lobby du béton, nous prônons une mixité de la construction. Nous ne construirons pas des sous-sols de parking en bois et, à une certaine hauteur, il faut du béton pour apporter une stabilité au bâtiment. Mais nous ne voulons pas pour autant que le bois soit caché.
Enfin, je souhaite que l’Éducation Nationale joue le jeu avec les métiers du bâtiment. Récemment, un professeur a convoqué les parents d’un élève, pour l’empêcher de se diriger vers la filière bois, prétextant que c’était ‘du gâchis’. Les parents n’ont pas lâché, car ils savaient que c’était une vocation chez leur enfant. Mais il y a un vrai problème, chez les enseignants, par rapport à nos métiers. Or, le bâtiment représente un ‘escalier social’. Sur les 200 adhérents de la région de Montpellier, beaucoup ont commencé apprenti, puis sont devenus entrepreneurs, par création ou reprise.