« La crise économique ne doit pas occulter la crise climatique »
Ne vous fiez pas aux apparences. Sous ses dehors institutionnels et affables, Patrick Martinez, nouveau directeur de la Banque des Territoires Occitanie, a son franc-parler. L’homme, tout juste arrivé à Toulouse en provenance de Bordeaux, retrouve un territoire qu’il connaît bien. Il a notamment œuvré, dans une autre vie, comme chef de cabinet du préfet de la région Languedoc-Roussillon, puis directeur de cabinet du préfet du Gers, et comme sous-préfet du Vigan (30). « Je garde un souvenir impérissable des plans sociaux de Jallatte et Well », glisse-t-il aux Indiscrétions, reçues le 12 avril. « Trois questions à… », la rubrique où le tutoiement est de rigueur.
Patrick, quel regard portes-tu sur la situation macroéconomique ?
La crise que nous traversons est plus violente que celle de 2008. Au Covid, a succédé la guerre en Ukraine, puis l’inflation et la stabilisation des taux d’intérêt. Les coûts énergétiques et de la construction ont fortement augmenté. Tout s’est renchéri, rapidement. La dégradation est très claire, ce qui pose la question de la capacité à investir au niveau public et privé. L’État peut certes aider, mais ne peut pas tout faire. La Banque des Territoires assure la centralisation et la gestion de 60% de l’épargne réglementée des Français, qui est ensuite transformée en prêts très long terme, jusqu’à 80 ans, pour financer des projets d’intérêt général, dont en priorité le logement social. Ce dernier a le vent en poupe, avec une visibilité à 3 % jusqu’au 1er février 2025. C’est pour nous une opportunité. Notre résultat net est exceptionnel en 2023 (3,9 Md€, dont 2,5 Md€ reversés à l’État et 1,4 Md€ réinvestis). Mais c’est aussi une grande responsabilité. Notre métier est d’amortir les effets des augmentations.
Ton rôle est important dans le financement du logement social, qui tient son congrès national à Montpellier fin septembre. Le monde du logement social est vent debout contre le projet de réforme annoncé le 3 mai par Guillaume Kasbarian, ministre du Logement. Que réponds-tu au monde HLM ?
La Banque des Territoires a toujours été un partenaire très à l’écoute et très diligent vis-à-vis du logement social. L’État a fait ce qu’il pouvait faire, dans les limites des contraintes budgétaires. Avec la Caisse des Dépôts, nous avons repris notre charge sur la première année d’emprunt pour les constructions nouvelles ou les rénovations. Notre établissement prend le différentiel, nous apportons des fonds propres aux bailleurs avec nos titres participatifs. Nous portons des missions de titres participatifs, et apportons des fonds propres aux bailleurs, pour qu’ils puissent mieux s’y retrouver dans le rapport fonds propres / dettes. Je relève qu’en Occitanie, 70 % de la population est éligible aux critères du logement social. Cette proportion pourrait être revisitée à mon sens. Le logement social propose des loyers modérés, voire très modérés. La question dépend de l’État.
Quels messages souhaites-tu adresser aux élus et acteurs du territoire ?
Je souhaite que le niveau d’engagement des élus soit maintenu. Nous avons besoin des collectivités locales assumant pleinement la garantie d’emprunt. Sans garantie, il faut aller chercher de l’hypothèque, ce qui génère un coût supplémentaire.
J’aurais un autre message : les effets de la crise économique ne doivent pas nous faire perdre de vue la crise climatique. Si on l’oublie, elle nous rattrapera. Parfois, en d’autres lieux, j’ai eu l’impression de prêcher dans le désert. Nous proposons des prêts transition écologique à 3,4 % sur 50 ans, avec des marges très réduites. Ils ciblent des objets prioritaires : eau, rénovation énergétique des bâtiments publics, déchets, biodiversité, environnement…
Prenons le sujet de la gouvernance de l’eau : quand on a 80 autorités organisatrices, pensez-vous que cela va aider à régler les problèmes de ressource et de gestion ? La massification est une solution. Je ne veux pas déposséder les élus de la gestion de l’eau. Mais quand les besoins en investissements se chiffrent en dizaines, voire en centaines de millions d’euros, ils ne peuvent pas être satisfaits à l’échelle de petites entités. Nous sommes prêts à aider tous ceux qui, demain, veulent envisager une meilleure gouvernance de l’eau.
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« Nous souhaitons approfondir les travaux sur les quartiers de gares, et sur la « France moche » (les entrées de ville commerciales). À Carcassonne, nous travaillons sur une zone d’activité à reconvertir. La Banque des Territoires est coinvestisseur pour transformer cette zone, en la renaturant. Un promoteur va se positionner, en lien avec Carcassonne Agglomération. »
La Banque des Territoires soutient des projets d’envergure majeure, comme la 3e ligne de métro à Toulouse, avec un prêt de 300 M€ à 50 ans.
Dans l’actu : la Banque des Territoires vient de consolider sa participation à l’Arec (lire en « Décodage »), en la portant à un montant global de 19 M€, ce qui en fait le second actionnaire.
« Ce nouvel apport témoigne à la fois de notre engagement dans le domaine de la production des énergies renouvelables et de la décarbonation d’activités, aux côtés de la Région Occitanie et de ses autres partenaires, déclare Patrick Martinez. Cette nouvelle étape doit permettre d’inciter tous les acteurs à s’investir encore plus dans le domaine et à proposer des opportunités de projets que nous serions à même d’appuyer ».