« Les sols du Languedoc sont en voie de désertification »
Créée par le groupe Laboratoires Dubernet (dirigeant : Matthieu Dubernet) spécialisé en oenologie, Terra Mea (« Ma terre », en latin) a mis au point une méthode d’analyse de l’état microbiologique des sols. C’est un outil d’aide à la décision précieux pour la viticulture et l’agriculture face aux aléas du changement climatique. « Trois questions à », la rubrique où le tutoiement est de rigueur.
Matthieu, pourquoi as-tu créé une start-up dédiée à l’analyse du vivant contenu dans les sols ?
Tout simplement parce qu’il n’existait pas, jusqu’à présent, de moyens d’évaluation du microbiote du sol. Or, l’urgence est là. Les premières données collectées mettent en évidence un processus de désertification des sols en Languedoc. Ils sont en très mauvais état. Il faut un plan d’urgence fort. Les degrés alcooliques moyens sont passés, en 20 ans, de 12,5 à 14,5. C’est excessif. Bon nombre de vignerons sont désemparés face à cette situation.
Les sols sont des réservoirs importants de carbone, deux à trois fois plus que l’atmosphère. Le bon fonctionnement des sols est un enjeu climatique majeur. Avec de bons sols, le stock de carbone séquestré peut augmenter. A contrario, les sols dont la qualité se dégradent vont faire s’échapper leur gaz carbonique dans l’atmosphère. Nous observons une perte de carbone très inquiétante des sols en région méditerranéenne. En 20 ans, nous estimons que 80 tonnes de gaz carbonique par hectare sont parties dans l’atmosphère. Il y a une relation forte entre le microbiote du sol et la capacité du sol à fixer ou libérer du carbone. Nos travaux mettent en évidence cette relation. Le rôle de l’agriculteur ne se résume pas à produire une denrée sur un terrain donné, mais aussi de le cultiver de telle façon qu’il ne libère pas du carbone, voire qu’il puisse en séquestrer. Au-delà de l’aspect environnemental, il y a des répercussions économiques : le marché est prêt à acheter au secteur agricole des ‘bons carbone’, dans la mesure où l’exploitant peut prouver qu’il fixe du carbone dans ses sols.
Quelle est l’innovation propre à Terra Mea, permettant d’effectuer ses mesures du vivant dans les sols ?
La technologie mise au point permet de décompter les cellules présentes dans le sol. Grâce à un cytomètre de flux, équipement utilisé dans la recherche médicale, Terra Mea analyse les bactéries, champignons, organismes cellulaires… La notation scientifique va de 1 à 500. La technologie se veut simple, accessible, fiable et rapide. Les conséquences positives ou négatives des labours, enherbements, irrigations…, sur le vivant du sol peuvent être mesurées. C’est un outil précieux qui va aider les exploitants dans le pilotage de leurs pratiques agroécologiques. Cette objectivation des données relatives à la qualité des sols intéresse aussi le secteur bancaire. Avant d’accorder un prêt, les établissements financiers veulent de plus en plus avoir des données précises et fiables sur les critères d’amélioration des sols des exploitations. On ne peut plus se contenter de dire, comme avant : ‘C’est un bon sol’.
Peux-tu expliquer les moyens financiers alloués, et les perspectives de recettes ?
Terra Mea est dotée d’un capital de 2,5 M€, prévoit un CA de 1,5 M€ et vise les 5 M€ en 2024. Une levée de fonds d’1 M€ est en cours de finalisation, pour financer des recrutements et un déploiement à l’international. L’entreprise compte à ce jour 6 ingénieurs agronomes et est dirigée par Olivier Antonin, transfuge de l’agrodistribution.
> Fin juin, le groupe Laboratoires Dubernet, qui emploie 75 salariés pour un chiffre d’affaires de 6 millions d’euros, a inauguré l’extension de ses installations à Montredon-des-Corbières. Il est aussi implanté à Orange et Tain-l’Hermitage, dans la vallée du Rhône.
Plus à lire dans Les Échos, 4 septembre : « Terra Mea invente une méthode d’analyse du microbiote des sols agricoles », en cliquant ici