« Sur le lido de Frontignan, investir encore pour protéger l’activité humaine n’est plus rentable »
Alors que le risque de submersion marine grandit, quel va être le sort des quelque 2.000 habitations, érigées depuis 50 ans sur le fragile lido (une bande de terre entre mer et étang) de Frontignan, commune littorale située entre Montpellier et Sète ? Sur environ 6 km, les maisons individuelles, dont environ la moitié sont des résidences secondaires, défient encore la mer Méditerranée, protégées par des épis enrochés. Mais cette partie du littoral, située dans la partie orientale du golfe d’Aigues-Mortes et classée en zone rouge de submersion marine, est désormais en première ligne. « La montée du niveau de la mer est inéluctable, quoique l’on fasse en termes de politique d’atténuation ou de réduction. Il sera très dur de lutter contre ce phénomène en Languedoc, car les reliefs des côtes sont assez plats. La seule manière de s’adapter, c’est de quitter les fronts de mer », indique d’ailleurs Yves Tramblay, hydrologue et expert climatique lors du 6e rapport du Giec, dans Midi Libre du 11 janvier.
Échange avec Loïc Linarès, conseiller municipal de Frontignan et vice-président de Sète Agglopôle Méditerranée délégué à la transition écologique et à l’aménagement durable du territoire.
« Trois questions à », la rubrique où le tutoiement est de rigueur.
Loïc, comment le lido de Frontignan se prépare à sa submersion, encore lointaine certes, mais inévitable ?
Depuis août 2023, la ville de Frontignan a intégré la liste des communes dont l’action en matière d’urbanisme et de politique d’aménagement doivent être adaptées aux phénomènes hydrosédimentaires, dans le cadre de la loi Climat et Résilience. Objectif : encadrer les constructions dans les zones concernées par la submersion marine, et favoriser une renaturation progressive.
Pour évaluer l’évolution du trait de côte de Frontignan-Plage, et étudier un scénario de réorganisation spatiale, un groupement mené par le bureau d’études parisien Urban Act vient d’être mandaté. Des relocalisations, en retrait du littoral, seraient possibles dans des friches industrielles de Frontignan, ayant accueilli cimenterie ou dépôt pétrolier, et offrant aujourd’hui un foncier.
Nous avons un aperçu de ce qui va se passer sur le lido de Frontignan-Place. En effet, dans une zone non protégée par des digues, aux Aresquiers, un restaurant de plage a déjà été démonté en 2005. La plage a, dans ce secteur, reculé d’environ 30 mètres en quelques décennies ! Aujourd’hui, s’il était encore là, cet établissement serait sous l’eau.
Sur le lido, les enrochements érigés entre les années 80 et les années 2000 sont un pansement, qui a fonctionné jusqu’à présent, mais ne tiendra pas longtemps, sous les effets cumulés de l’érosion du trait de côte et du réchauffement climatique, beaucoup plus rapide que prévu. Investir encore pour protéger l’activité humaine n’est plus rentable. Nous ne pourrons plus lutter, et n’employons d’ailleurs, plus, dans les documents, le terme de ‘lutte’.
Comment comptes-tu agir, en lien avec l’Etat et la Région Occitanie, sans affoler les habitants ?
C’est un travail de dentelle. Il y aura une graduation dans le temps. Même dans des zones identifiées comme étant menacées, des opérations foncières seront possibles, mais les acquéreurs seront informés qu’ils seront les derniers occupants. Par ailleurs, nous souhaitons empêcher les démolitions-reconstructions, encore possibles même en zone rouge. Car elles donnent l’impression que l’on peut construire, alors qu’il faut arrêter, et s’acculturer au risque. La gestion de l’érosion du trait de côte n’est pas qu’une affaire de scientifiques et de technique. Des sociologues et anthropologues seront mis dans la boucle, pour faire émerger un changement de culture et un nouveau rapport à l’environnement.
Dans ce secteur voué à disparaître sous les eaux à moyen terme, le marché de l’immobilier affiche des prix presque parisiens. Comme cette maison de 161 m2 mise en vente à 1,4 million d’euros, soit plus de 8.600 euros par mètre carré. Que fais-tu face à ce paradoxe, le marché étant libre ?
Il faut travailler sur une équité. Nous souhaitons, avec l’État et la Région Occitanie, éviter que ces espaces vulnérables puissent être préemptés par les seules personnes qui en ont les moyens financiers. Il s’agit aussi de porter à connaissance, de faire participer les citoyens aux réflexions, pour poser des repères et la problématique, expliquer aussi qu’on ne chassera personne de chez soi et éviter une trop grande anxiété. Pour ce faire, la commission nationale du débat public organise une réunion sur le thème « Comment s’adapter à l’évolution du trait de côte en Occitanie ? », le 17 janvier à Frontignan.
> Plus d’infos sur les réunions publiques du 17 janvier sur le trait de côte à Frontignan, et le 19 janvier à Sète sur le thème « Quel avenir pour les pêches en Méditerranée ? », en cliquant ici