« Le domaine du spatial est devenu stratégique »
Ancien chef du service surveillance spatiale au CNES, il fonde en juin 2022, avec le général Michel Friedling (ancien patron du commandement de l’espace), la startup toulousaine Look Up Space, spécialisée dans la surveillance et la sécurité des opérations spatiales. L’entreprise est passée en deux ans de 2 à bientôt 40 collaborateurs (35 salariés actuellement). Elle fait partie des 3 lauréats en course pour le trophée « Défense et Souveraineté » de la 7e édition du Space Forum organisé par La Tribune à la Cité de l’Espace à Toulouse, le 10 septembre.
Un évènement qui réunit près de 300 experts de l’industrie spatiale régionale, nationale et internationale autour de conférences et débats sur l’avenir de l’espace. L’occasion de faire le point avec Juan-Carlos Dolado Pérez sur l’actualité et les projets de Look Up Space. « Trois questions à… », la rubrique où le tutoiement est de rigueur.
Juan-Carlos, comment est né Look Up Space ? Quel est son domaine d’expertise et d’intervention ?
Dans nos fonctions précédentes, avec Michel Friedling, nous avons été aux premières loges de la sécurité spatiale et nous avons constaté un manque d’autonomie Française et Européenne dans ce domaine. À l’époque au CNES, nous protégions 400 satellites des risques de collision en orbite. Plus de 90 % des données utilisées pour assurer cette protection étaient fournies par les Américains. C’est pour cela que nous avons créé une solution souveraine permettant d’améliorer significativement l’autonomie stratégique Française et Européenne dans le domaine de la sécurité spatiale. Nous développons avec des partenaires français des radars qui vont nous permettre de surveiller et sécuriser les infrastructures spatiales 24h/24 et 7j/7, avec la finalité de protéger les nombreux satellites en activité, grâce notamment à la cartographie précise des débris en orbite et à la proposition des manœuvres d’évitement de collision avec ces derniers.
99 % des objets dans l’espace sont situés en orbite basse. C’est là qu’il y a la majorité de problèmes liés aux collisions, explosions d’objets et la coordination du trafic spatial. Morceaux de fusées, fragments de satellites, satellites… Il y a environ 1 million d’objets de taille supérieure à 1 cm et 30.000 objets de taille supérieure à 10 cm dont environ 10.000 sont des satellites actifs. Avec les informations dont nous disposons aujourd’hui, nous ne pouvons pas voir les petits objets. Nous sommes myopes en ce qui concerne l’espace. C’est comme si nous roulions sur l’autoroute à contre-sens, sans lumière, la nuit, et que nous ne pouvions voir que les poids lourds. Avec les radars que nous développons, nous allons avoir de la visibilité. Même un tout petit débris peut avoir des effets catastrophiques sur des satellites qui tournent à 28.000km/h. Une collision va générer des centaines voire des milliers de nouveaux débris, eux-mêmes pouvant rentrer en collision avec d’autres objets, alimentant une réaction en chaîne. Donc il ne s’agit pas uniquement de la sécurité des opérations spatiales mais aussi de la durabilité de ces dernières.
Quelles sont les actualités de Look Up Space ?
Nous déployons en Lozère, à Monts-de-Randon, notre premier capteur spatial. Le choix de ce site repose en partie sur sa pureté électromagnétique, loin des perturbations électromagnétiques des centres urbains, des radars météo ou de navigation aérienne. Aussi, la proximité avec Toulouse et la présence depuis plus de 50 ans de l’opérateur du Truc de Fortunio, partenaire avec qui nous déployons notre radar, ont contribué à ce choix. Les travaux ont commencé et les premiers éléments du capteur seront installés courant septembre. Le démarrage de la qualification de l’outil interviendra d’ici novembre. Après la Lozère, au moins 6 autres capteurs seront installés dans les territoires d’Outre-Mer. Ce réseau mondial de radars va nous permettre de voir les objets spatiaux en permanence, soit 14 fois par jour.
Afin de pouvoir tenir le rythme de déploiement, nous sommes dans une phase d’investissements massifs avec des soutiens étatiques et privés importants. Nous avons bouclé une première levée de fonds en 2023 en phase d’amorçage, avec 14 M€ de financement. Également, nous avons été lauréat du programme d’accélération de l’European Innovation Council (organe européen qui vise à accompagner l’émergence et la mise sur le marché d’innovations de rupture à fort impact sociétal et environnemental), et cela va couvrir la moitié de notre prochaine levée de fonds. Celle-ci a pour objectif d’accélérer le déploiement de notre réseau de radars et de continuer à développer le volet numérique et l’offre de service de la société. Cela nous permet d’avancer rapidement dans un contexte concurrentiel notamment avec les États-Unis.
Qui sont vos clients ?
Le domaine du spatial est aujourd’hui stratégique pour un grand nombre d’acteurs. Il y a des acteurs militaires, gouvernementaux, des opérateurs privés, des régulateurs, et même des assureurs qui veulent surveiller l’état des satellites. Nos capteurs fournissent des données que nous valorisons via la plateforme de fusion de données multi-source que nous avons développée, pour les proposer à des agences spatiales, acteurs gouvernementaux, institutionnels, ou privés qui naviguent parmi ces débris pour déployer ou entretenir des satellites ou qui doivent simplement savoir l’état de l’environnement orbital pour des intérêts civils ou de défense.
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15 000 emplois (industrie/formation/recherche)
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* Source : Région Occitanie