
« Comment atteindre les objectifs de transition énergétique, si le marché ralentit ? »
Réduction des quantités des appels d’offres de la CRE dans le cadre de la PPE (programmation pluriannuelle de l’énergie) pour la période 2024-2033, remise en question de certains dispositifs, difficultés sur l’agrivoltaïsme… Tout n’est pas si simple dans la transition énergétique. Avec sa vision européenne, le président d’Urbasolar (actionnaire : Axpo, Suisse) fait le point. « Trois questions à… », la rubrique où le tutoiement est de rigueur. Entretien réalisé au siège social d’Urbasolar (Montpellier), qui emploie 550 salariés (dont 360 à Montpellier, mais aussi en Allemagne, Pologne, Italie, Espagne et Suisse) et réalise un CA de 300 M€.
Antoine, d’après toi, la transition énergétique est-elle toujours au cœur de la politique du gouvernement ?
La Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE) fixe les objectifs de développement des énergies renouvelables en France. La PPE3, actuellement en préparation, devrait couvrir la période 2024-2033. La CRE envisage une réduction des volumes d’appels d’offres pour certaines filières. France Renouvelables a demandé à la CRE d’obtenir les documents officiels. Cette perspective de réduction des appels d’offres soulève plusieurs questions. Tout d’abord, un impact sur les objectifs de la transition énergétique. Une réduction des volumes pourrait compromettre l’atteinte des objectifs ambitieux fixés pour 2028 et au-delà. Par ailleurs, la baisse des coûts du photovoltaïque et de l’éolien terrestre pourrait justifier une diminution du soutien public via les appels d’offres. Enfin, un développement hors soutien public perce. La CRE recommande de recourir davantage aux contrats de gré à gré (PPA, pour « Power Purchase Agreement ») pour certaines filières matures. Je précise que la France est, avec son système d’appels d’offres, le pays le plus structuré à l’échelle européenne au niveau des subventions solaires, avec un très haut niveau de granularité. Cela rend le pays résilient face aux perturbations politiques, ce qui rassure les investisseurs. Les appels d’offres doivent conserver des pourcentages garantis par catégories – centrales au sol, toitures, résidentiel… -, pour que toute la production ne parte pas dans le seul secteur résidentiel.
Outre le volume des appels d’offres, quels sont tes sujets de préoccupation ?
L’agrivoltaïsme, qui est un sujet très politique. Certains partis ont souvent un lien très fort à l’agriculture, et est sceptique vis-à-vis des renouvelables, surtout le solaire et l’agrivoltaïsme. On le voit en France, avec un désir des chambres d’Agriculture de maintenir l’activité agricole sans coexistence avec le photovoltaïque.
Sujet plus technique, la congestion du réseau. La France souffre de ses procédures. Les délais pour obtenir un raccordement s’allongent. La file d’attente de RTE s’élève à 17 GW, et celle d’Enedis à 10 GW. C’est énorme. Avec des conséquences pour des opérateurs comme Urbasolar : nos projets sont retardés, et notre courbe de croissance ralentit.
Les administrations prennent du temps pour répondre aux demandes de permis. Je peux le comprendre : les dossiers sont de plus en plus complexes, et les politiques changent en permanence les règles. Les administrations se sentent démunies, et ont du mal à suivre. Par exemple, la loi d’accélération des EnR de 2023, qui aurait dû, comme son nom l’indique, accélérer, a finalement ralenti, avec deux ou trois ans de débats politiques pour arbitrer ce qu’est une zone de priorité renouvelable. Je remarque que 5 ans en arrière, les prévisions de croissance étaient plus élevées. Tout le monde n’a pas pu croître à la vitesse voulue, alors que les objectifs restent élevés pour 2030 et 2035. Dès lors, des questions se posent : comment atteindre les objectifs, si le marché ralentit ? Comment dimensionner notre organisation : rester identique, ou continuer à recruter ? Nous avons besoin de visibilité pour anticiper sur le recrutement. Nos compétences sont diversifiées : ingénierie, achat, construction, développement…
Quelle est ta vision de l’avenir des énergies renouvelables ?
Il y aura, à un moment, trop d’énergie solaire produite au même moment. On a ajouté, en Europe, 20 GW en 2024. 200 GW sont prévus dans 10 ans. Conséquence : des plages de prix très bas, voire négatifs. Nous devons parfois arrêter nos centrales. La réponse, c’est de travailler sur la consommation, sur des prix dynamiques – des prix moindres quand il y a trop d’énergie, en journée – et sur le stockage avec des batteries.